Les prénoms berbères, de l’interdiction à la dérive

 


 

Si le télescope européen « Gaïa » a pu atteindre le 08 janvier 2014 son orbite opérationnelle dans l’espace, à quelque 1,5 million de kilomètres de la planète Terre, hélas, cette finalité n’a pas été la même pour le nouveau-né « Gaïa », qui n’arrive toujours pas à trouver son chemin vers le registre de l’état civil de la commune de sa naissance à Arris, depuis le 30/07/2013. Et pour cause : les officiers de l’état civil continuent à faire la pluie et le beau temps, « Libre aux parents d’aller aux tribunaux ! ».

Après la déclaration de l’officier de l’état civil de Arris (Batna),«… on n’inscrit pas des prénoms sans signification !», alors que la condition de « la signification » n’a jamais figurée dans l’article 64 du code de l’état civil. Nous assistons aujourd’hui à un énième ébahissement, une première dans l’histoire de l’identité nationale, puisque désormais donner des prénoms berbères aux nouveau-nés est contraire à la charia (L’islam). Cette « jurisprudence » n’est pas le fruit d’une fatwa émise par « un pseudo-mufti », encore moins une plaisanterie pour distraire les esprits, mais plus précisément un des arguments avancé par la défense de l’APC de Arris (Batna) lors de l’affaire « Gaïa »- Tribunal administratif de Batna-. Selon ladite défense, qui a demandé en cette occasion de débouter la demande du demandeur (le père de Gaïa).

 

Ce dernier voulait profiter de cet heureux évènement (la naissance de son premier fils) pour l’honorer d’un prénom amazigh de ses origines, de sa culture et de son histoire millénaires, celle de la Numidie.

 

Les arguments soulevés par la défense trouvent en effet leur origine dans une autorisation accordée par le législateur algérien aux parents appartenant à une confession autre que l’islam, afin d’inscrire leur progéniture sous des prénoms en corrélation avec leur spécificité religieuse.

 

L’Article 64 alinéa 2 du code de l’état civil prévoit clairement que :« Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une confession non musulmane ». Donc, cette dérogation ne concerne en aucun cas, bien évidement, les prénoms de consonance algérienne, plus précisément amazighs, du fait qu’ils répondent au premier critère, prévu par le même article, celui de « l’algérianité », qui ne nécessite d’ailleurs pas même d’y revenir sur sa définition après l’amendement de la constitution de 1996(1).

 

De même et selon toujours la logique de la défense de l’APC, les parents ne doivent pas être seulement de confession non musulmane, mais ils doivent également le prouver,« … le prénom de Gaïa est contraire à la charia … le père de l’enfant est un algérien musulman sauf s’il prouve le contraire ! … ». La charge d’apporter la preuve incombe alors aux parents ! Puisque selon ce raisonnement la définition de l’algérien ou de l’algérianité est toujours à sa case de départ; donc définie comme telle : « arabo-musulmane ».

 

Plus étrange dans l’analyse de cette prohibition (toujours selon la même défense) « …le père de l’enfant Gaïa n’a pas respecté les dispositions de charia El Islamia (l’islam) comme s’est pratiquée par le prophète … le récit du prophète Mahomet (QSSL) dit: les meilleurs prénoms sont ceux avec lesquelles on adore et on loue». Bien que le Hadith (récit) n’est pas authentique, puisque le seul récit authentique sur ce sujet dit : « Les meilleurs des noms au regard d’Allâh (Dieu) sont `AbdAllâh et `Abd Ar-Rahmân »(2).

 

Le critère prévu par l’article 64 du code de l’état civil doit donc (selon la défense de l’APC)  céder sa place à la pratique héritée par  le prophète, même si l’esprit dudit récit sur lequel la défense s’est basée n’interdit pas, mieux encore, il est cité – dans l’esprit du récit – à titre préférentiel ! Or l’islam n’est pas une source directe de la vie législative, mais plus exactement une source « subsidiaire du droit ». Selon l’article 01 Alinéa 02 du code civil : « En l’absence d’une disposition légale, le juge se prononce selon les principes du droit musulman et, à défaut, selon la coutume », le même principe est prévu d’ailleurs par l’article 222 du code de la famille.

 

En d’autres termes, la loi prime sur les matières rapportées, que ce soit auprès des instances judiciaires, qu’auprès des espaces institutionnels de l’Etat. Le cas contraire, « les principes du droit musulman », devraient être comme tels : le raisonnement par analogie, le juste-milieu, et le rationnel, peuvent dans le cas récent servir comme une batterie de réserve.

Dans le même ordre d’idées de ladite défense, et si on suppose bien que ces parents ont réussi à contourner cet article, il est probablement possible donc – selon cette logique – de revoir les décisions sur lesquelles les prénoms berbères ont été accordés, en raison que le fondement juridique sur laquelle la décision a été accordée, est frappée par l’illégalité, ce qui ouvre droit à l’APC en question de demander potentiellement son droit à l’abrogation de quelconques prénoms berbères.

Entendu que toute violation aux dispositions de la charia, résulte le plus logiquement possible à une sanction sinon à une « repentance ». Il aurait été donc souhaitable pour ladite défense de se prononcer également sur la nature de la sanction!

 

Quand le religieux prime sur le juridique !

« Pêle-mêle »

 

Les arguments soulevés par la défense de l’APC de Arris nous rappel bien la mésaventure vécue
par l’avocat-stagiaire Me Youcef Benbrahim de l’ordre des avocats de Sidi Bel Abbès, suspendu  (selon ledit avocat), du fait que celui-ci avait refusé de participer à un sit-in devant le tribunal de la ville, organisé par la même corporation. Non pour dénoncer les violations d’atteintes aux droits de la défense, encore moins, la situation actuelle de la profession. Mais étrangement, pour protester contre un film provocateur offensant le prophète!

 

  Une affaire très vite déviée à un litige de nature religieux, suite à la déclaration du bâtonnier de Sidi Bel Abbes, reprise par la presse nationale :

 

«… un sit-in a été organisé comme preuve de soutien au Prophète. Tous les avocats se sont rassemblés, sauf Youcef Ben Brahim. S’il n’est pas de confession musulmane, nous rencontrons un problème, car les avocats prêtent serment sur le Coran. Et si Ben Brahim prête serment sur le Livre sacré, et qu’en réalité il n’est pas musulman, il y a une contradiction ! ». Donc cet avocat stagiaire avait lui-aussi l’obligation et la charge de prouver qu’il est musulman, pour répondre à un certain critère qui ne réside que dans la fiction !

Alors même que le sujet est censé ne pas l’être, puisque la religion de l’avocat n’a jamais été mise en cause par quelconque texte régissant la profession d’avocat depuis.

 

Une fausse solution à un sérieux problème 

 

La liste des 300 prénoms amazighs promise par l’ex-ministre de l’intérieur, depuis plus d’un an, n’a pas pu voir le jour. Le problème perdure. Cette liste porte en soi-même l’ingrédient d’une série de contradictions, avant même sa sortie.

 

D’abord, le principe de « la limitation » en tant que tel est contestable. Puisque l’application sur le terrain laisse à désirer plus. Pire encore, soumettre l’histoire et la culture amazighe à seulement 300 prénoms semble plus proche de l’ironie, de l’aberration que du rationnel (3).

 

Et comme s’il fallait en rajouter, la déclaration faite par le même ex-ministre de l’intérieur lors de sa sortie à Tindouf (le 24/07/2013), ou il précise que « les prénoms berbères seront inscris en langue arabe », pour éviter selon lui, les fautes d’orthographes ! Pose de facto une série d’anomalies.

 

Quelle est la valeur juridique d’une décision prise  par un ministre qui va à l’encontre de la loi, si ce n’est pas la non-conformité, entendu que l’article 02 du décret 81-26 relatif à la nomenclature des prénoms, stipule que : « les prénoms doivent être inscris en langue national », ce qui est assurément le cas pour la langue tamazight (Berbère) ; du faite que cette dernière est considérée comme telle depuis l’amendement de l’article 03.bis de la constitution algérienne (la loi n°02-03): « Tamazigh est également une langue nationale ». Certes les rédacteurs de ce texte n’ont pas prévu cette situation : Une donne que les praticiens du droit ne peuvent outre passer.

 

S’ajoute à cela, le devenir des prénoms berbères portant la lettre « V », ne figurant pas dans l’alphabet arabe, tels que : « Massiva, Youva, Massilva … » n’ont tout simplement pas de place dans ce qui ressemble à un dénouement.

 

Du panarabisme à l’islamisme … l’abrutisme !

 

L’enchainement de l’histoire ancienne et contemporaine de l’Algérie, marquée par le passage de plusieurs civilisation et culture. Pour sereconvertir après l’indépendance à un second passage de nature idéologique, doctrinal. Celui-ci lègue après plusieurs décennies, un héritage mitigé pour une société en quête de repères, entre « un orientalisme » rétrograde, et « une occidentalisation des valeurs », qui ne s’exprime que dans la consommation.

 

Cette réalité, pèse dans la mesure où l’appréciation de l’officier de l’état civil, ne se limite pas sur la problématique pour déterminer le concept de « l’algérianité », mais plus largement encore, sur celui de « l’usage et la tradition ». Larticle 64. Aliéna 3 du code de l’état civil cite clairement que : « Sont interdits tous les prénoms autres que ceux consacrés par l’usage ou par la tradition », (une des exceptions soulevées aussi par la défense de l’APC), autrement dit, les deux concepts précités doivent également y avoir une interprétation, et pour la énième fois, au regard de la culture et du savoir de l’officier de l’état civil ou de la personne dont les prérogatives ont été mandatées, ceci pour se prononcer sur le devenir de ce qui est définie comme étant « identité » de la personne.

 

De même, peut-on après plusieurs décennies de l’instauration du « rouleau-compresseur » de l’arabisation de l’environnement (4) parler de « l’usage ou la tradition », dans une société de culture hétéroclite, ou les valeurs diffèrent dans la même cellule familiale?

 

Néanmoins la question qui vient à l’esprit, est la suivante : Quel critère le législateur algérien a choisi pour ceux dont la responsabilité est extrêmement sensible ? A-t-il opté pour des qualifications intellectuelles, voir instructives ? Ou d’autres qualités d’une importance avérée?

 

Hormis l’âge limité à 21 ans et un emploi permanant, aucun autre critère n’est requis pour l’exercice de cette fonction. Article 2 du code de l’état civil indique expressément que : « Le président de l’assemblée populaire communale peut, sous sa responsabilité, déléguer à un ou plusieurs agents communaux occupant les emplois permanents, âgés au moins de 21 ans, les fonctions qu’il exerce en tant qu’officier d’état civil, pour la réception des déclaration de naissances …, de même que pour dresser tous actes relatifs aux déclarations ci-dessus »). Quoi qu’il en soit, la réalité dépasse l’imaginaire.

 

Cependant, n’aurait-il pas mieux fait de revoir cette censure qui ne dit pas son nom, « truffé de subjectivité et d’arbitraire», pour laisser sa place à la consécration et à la jouissance des libertés individuelles des citoyens ?

 

Si la problématique du refus d’inscrire des nouveau-nés sous un prénom amazigh dégage de réflexions insensées, ceci dénote l’absence d’un projet de société, voué à la déperdition des valeurs où le sens de l’algérianité et les valeurs locales deviennent étrangères chez-soi.

 

« La reconnaissance de l‘identité nationale et des droits fondamentaux », trimbalés d’une constitution à une autre, aura donc à patienter pour son application effective.

 

 

Notes :

[1] Le préambule de la constitution algérienne prévoit que : « les composantes
fondamentales de l’identité algérienne sont l’islam, l’arabité et l’amazighité ».

[2] Rapporté par Muslim, dans son Sahih (authentique) page 1398, et aussi par Abû Dâwûd, At-Tirmidhî et IbnMâjah.

[3] Voir notre contribution intitulée « Un progrès d’un gout inachevé », parue au quotidien national d’information, N° 6383 du 14 Aout 2013, rubrique : contribution, page 9.

[4] – Le décret 81/28, du 070/3/1981 relatif à l’arabisation de l’environnement.

– La loi  91/05, du 01/01/1991 relative à la généralisation de l’utilisation de la langue arabe.

 

 

Parue au quotidien national “le Quotidien d’Oran”, le 06/01/2015

 

Lien : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5207768&archive_date=2015-01-06